Année de la Chine
Ces photos ont été exposées à Issy les Moulineaux
à la Médiathèque et au Centre Administratif Municipal
du 10 janvier au 29 février 2004
dans le cadre  des années croisées France - Chine

  Comme de nombreux occidentaux, j'ai eu le coup de foudre pour la Chine dès mon premier voyage en novembre 2002. Coup de foudre en particulier photographique : j'ai photographié Pékin avec plus d'intensité que toute autre ville que j'ai eu la chance de visiter. J'y suis retourné en février 2003 pour une nouvelle série d'images. Et j'y retournerai, dans la fascination d'un Pékin en plein bouleversement où malgré tout les habitants poursuivent leur vie quotidienne.
Au hasard de mes pérégrinations, j'ai pris des photos dans le quartier de Chongwen (district jumelé à ma ville de résidence, Issy les Moulineaux), dont les touristes ne connaissent que le Temple du Ciel, parcouru au pas de course entre deux autocars alors qu'il faut se laisser porter par la foule des pékinois, dans le parc Tiantan, d'une chanteuse d'opéra vers des joueurs de cartes. Ou des calligraphes du dimanche qui tracent à l’eau sur le sol des poèmes qui s’évaporent lentement. Et marcher sans but dans ce qui reste des Hutongs, les quartiers traditionnels en voie de disparition accélérée.
 
   
 

Chai ! Un caractère, tracé grossièrement d’un trait de peinture blanche, bravant l’or et le rouge des sentences parallèles devant apporter prospérité et félicité affichées sur le chambranle de la porte. À détruire ! L’ordre est omniprésent en ce début de siècle à Pékin. La Capitale du Nord (Beijing) est une cité immense, plate, une grille d’avenues interminables, un gigantesque chantier. La vertigineuse croissance économique, les préparatifs des Jeux Olympiques, les mots d’ordre de modernisation, la rivalité avec les mégapoles côtières sont prétextes au bouleversement de la ville. Les vieux quartiers, dédales de ruelles et de cours, cèdent la place aux centres commerciaux et aux complexes administratifs. Difficile de se repérer dans l’espace, mais aussi dans le temps. Ces hutongs que l’on voit tantôt comme des îlots pleins de charme, tantôt comme des taudis insalubres, disparaissent en l’espace de quelques jours. Où seront demain la marchande de nouilles et le retraité en uniforme qui assure le bon ordre du quartier ? Au cœur de Beijing, la place Tian An Men, raccourci historique saisissant juxtaposant la Cité Interdite des empereurs et le tombeau de Mao, est peuplé des fantômes des enthousiasmes populaires comme des désillusions. Plus loin, les boulevards périphériques s’enchaînent en ondes concentriques et peinent à contenir automobiles et bus et camions véhiculant les foules qui n’ont pas pour autant délaissé leur traditionnel vélo. Encore un peu plus loin, la grande muraille, monument hors du temps à la mesure du pays.

Beijing est une ville grise tachetée de rouge. Deux rouges en fait. Le rouge vermillon des lanternes de papier, si emblématiques de la Chine qu’on leur consacre une fête annuelle. Et un rouge bien particulier, chaud, tirant sur le brun qui recouvre portes et frontons. La foule est là, concentrée à certains endroits en fonction de l’heure de la journée, curieusement absente en d’autres lieux qui prennent alors des allures de décors, un peu défraîchis, comme si on venait de rouvrir de vieux studios désaffectés. Il y a aussi les mots, les caractères chinois, des mots qui sont aussi des images, omniprésents. Affichés sur les murs, placardés au dessus des portes, dessinés à la craie, en néon, gravés sur bois suivant les traits des plus grands calligraphes, ils trouvent nécessairement une résonnance auprès du photographe habitué à écrire avec des images. L’occidental ressent, face à ce foisonnement, sa condition d’illettré (quel est le mot pour quelqu’un qui ne sait pas lire les images ?) et sa curiosité ne peut être satisfaite qu’au prix de périlleux rébus ou avec l’aide d’un ami chinois. Ami qu’il est facile de trouver au gré des déambulations dans Pékin, le sourire et les gestes tenant souvent lieu d’esperanto. Un sourire qui apparaît soudainement au premier contact, brisant le masque d’indifférence et d’anonymat affecté par le Pékinois dans la foule. Et puis il y a Mao, omniprésent, hors du temps, observant de son regard figé un Beijing entre deux époques, qui se hâte d’aller on ne sait où.

 

philippe durand gerzaguet

janvier 2004

 
     

 


 

© philippe durand gerzaguet