l'intimité du paysage

La notion d'intimité est souvent associée à celle d'intériorité, d'indentification, de proximité avec une personne ou un espace intérieur fermé au regard de l'autre. Mais ne peut-on pas parler, en déclinant le même concept, d' intimité du paysage ? Même si le rapport d'échelle est différent de celui que l'on entretient avec les espaces intérieurs, comment manifester ce sentiment de symbiose éprouvé parfois au contact de certains paysages ? Comment traduire cette relation fusionnelle qui fait qu'en face ou au milieu d'eux, les sensations ou sentiments plus intimes trouvent écho dans la contemplation ? Tenter de définir ce concept passe par la recherche de sens des deux mots qui le désignent.

PAYSAGE: espace extérieur, rural ou urbain, plus ou moins vaste, dont le cadre révèle la réalité d'une géographie, d'un site, d'un lieu, à priori ouvert au regard de tous. Formes, lumières, couleurs, matières, disposition des éléments entre eux sont générés autant par les évolutions incontrôlables de la nature (composition du sil, influence des astres, cycles de végétation) que par les interventions humaines (habitat, urbanisme, travaux forestiers, cultures). Même s'il est la plupart du temps, composé de la juxtaposition de propriétés privées, il est, par essence et à des degrés divers et dans sa globalité, champ public.

INTIMITE: Ce qui touche au plus personnel, au plus proche, ce qui concerne l'individu seul et les relations qu'il entretient avec les personnes, les objets ou les lieux qui lui sont les plus chers… Implique les idées de protection, de secret, et dans le rapports humains de familiarité forte, de connaissance et de confiance profondes, qui peuvent conduire à une identification fusionnelle. Se dit de ce qui est familier, lié au souvenir, protégé des intrusions extérieures et en tous cas n'est pas dévoilé au public. Lintime appartient de toute façon au domaine du privé, du particulier.

Les deux mots juxtaposés évoquent donc, dans leur utilisation courante, des significations opposées, antinomiques, paradoxales. Vouloir réduire cette équation n'est pas un défi insignifiant. Le cadre collectif d'un atelier, où s'exprime la diversité des sensibilités, des éducations et des cultures, des approches et des styles, s'il ne facilite pas vraiment la cohérence de l'entreprise mettra sans doute en évidence la multiplicité des voies à explorer. Lancer un processus de réflexion et de création autour de ce concept implique d'aller encore plus avant dans l'exploration des interprétations possibles du binôme intimité/paysage.

Les paysages intérieurs sont les images d'un monde que l'on porte en soi et que la réalité extirieure révèle. Elles ne répondent pas inévitablement, ni strictement à la définition de représentation du paysage, ni par la nature des "objets" représentés, ni dans la distance au sujet, l'échelle, ou l'angle de vision que la pratique du genre, généralement implique.

Les paysages de l'intimité, immenses ou de dimension réduite, ouverts ou bien clos ou protégés, nous renvoient au sentiment de l'intimité, jusqu'à l'identification et l'osmose fusionnelle qui nous donnerait la sentation de prendre corps avec eux. D'où les nombreuses évocations que la poésie nous propose. Le paysage, de manière métaphorique, y est personnalisé. On pense évidemment à l'évocation du Lac du Bourget où Lamartine l'interpelle : "Ô temps, suspend ton vol…" Pourtant, le paysage n'est qu'un support, un écran insensible sur lequel viennent se projeter nos réactions sensibles. La perception que nous en avons n'appartient qu'à nous, exclusivement. Elle s'inspire de notre propre hsitoire, de notre sensibilité, de la manière particulière que chacun peut avoir de découper sélectivement l'espace et de choisir son point de vue. Ce paysage-là est révélateur et catalyseur de sensations et d'émotions.

Il n'existe que par la charge potentielle, émotionnelle ou esthétique qu'il porte en lui. C'est seulementle regard du découvreur qui lui donnera corps. Autant dire que sans lui, il n'existe pas.

Les paysages intimes sont les lieux avec lesquels on entretient un relation longue, durable, attentive et sensible. Ils peuvent être le théâtre de souvenirs, être liés ainsi à notre histoire et devenir mémoriaux. Cette relation complice est entretenue dans le temps et protégée par son caractère exclusif et secret. Elle génère un tissu complexe de sensations difficilement transmissibles en dehors d'un langage sensible et poétique.

Lorsqu'en 1984, la première série des Intérieurs fut présentée en public, la critique fit allusion au genre paysage —alors que nature morte eût semblé plus évident— en évoquant même la notion de paysage intérieur. De mon côté je parlais de portrait, voire d'auto-portrait, en référence au contenu et à l'histoire même de mon travail… En art toute question posée est assurée de ne jamais recevoir de réponse définitive. Cette question là, comme toutes les autres, n'y échappera pas…

 

JMT

Fontvieille, 12 juillet 2002

 

 

 

texte jean-marc tingaud

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